— Entretien avec Marie-Julie Chalu —

Africultures – le 6 JANVIER 2015

S’approprier la narration au théâtre

Tout a commencé par une insulte. En mars dernier, l’auteure Penda Diouf et le metteur en scène Anthony Thibault se confrontent lors d’un débat agité sur la représentation de la diversité sur les plateaux français. Puis, ils décident de créer ensemble le label Jeunes textes en liberté. Leur combat ? Une mixité homme/femme, blanc/non-blanc parmi les auteur-e-s, metteur-e-s en scène, comédien-ne-s et parmi les histoires et les narrations partagées sur scène. À partir de janvier, un cycle de lecture de textes aura lieu à Paris et en périphérie, dans des théâtres et dans des structures non-théâtrales. La première édition a pour thème « la frontière », réelle ou fantasmée. Rencontre.

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Afriscope : En mars 2015, le Théâtre national de la Colline de Paris organisait une lecture de texte de la première promotion de son programme Ier Acte (voir encadré), précédée d’une table-ronde autour de l’absence de diversité sur les plateaux de théâtre. C’est à cette soirée que vous vous êtes rencontrés.

Anthony Thibault (A.T.) : J’y étais en tant qu’assistant de Stanislas Nordey (N.D.R.L. : Metteur en scène, directeur du Théâtre National de Strasbourg et directeur artistique de Ier Acte). J’intervenais sur ce programme en accompagnant les jeunes comédiens.

Penda Diouf (P.D.) : On était assis côte à côte. Anthony avait pris la parole spontanément alors que j’attendais depuis une trentaine de minutes. Une deuxième fois, j’aurai pu m’exprimer et Anthony est intervenu pour passer la parole à un directeur de théâtre qui avait été interpellé. Je me suis sentie flouée, surtout quand j’ai compris qu’il faisait partie de l’organisation. Je l’ai alors traité de « blanc dominant colonialiste ». Voilà comment ça a commencé (rires).

Votre rencontre est symptomatique de l’ambiance de ce débat tumultueux. Quelles en ont été vos impressions?

P.D. : Dès qu’on parle de colonisation ou de post-colonisation, voire de racisme, il y a tout de suite quelque chose qui se crispe. Les personnes en face se sentent agressées et remises en cause alors qu’on ne parle pas d’elles mais d’une société, d’un état de fait. Cette crispation complique et nie le débat. La représentation de la diversité découle de trois siècles d’esclavage et de colonisation. Les répercussions sont toujours fortes et il faut interroger cette situation.

A.T. : Lancer Ier Acte était une vraie volonté de la Colline d’ouvrir les portes et de s’interroger sur ces questions. Mais je pense que cela été fait maladroitement puisqu’il n’y a pas eu d’écoute au préalable des associations.

P.D. : Et puis le dispositif était très frontal ce soir-là : d’un côté les personnes sur scène habilitées à parler, les « experts ». Et de l’autre, des spectateurs qui se battaient pour avoir le micro avec un temps de parole limité. Du coup, et je parle de ma propre expérience, on (les racisé-e-s) s’exprimait avec véhémence parce qu’on était touché, intimement, et qu’on avait peu de temps. Ce qui tranchait avec le ton calme des personnes sur scène. De fait, on était mis en porte-à-faux. Une autre chose qui m’a choquée : la personne qui distribuait le micro est venue me voir et en me montrant un groupe de Noir-e-s que je ne connaissais pas, m’a dit « mais eux, ils ont déjà parlé ». Je trouve hallucinant que dans un théâtre en 2015, à un débat sur la représentation de la diversité, on refuse aux personnes de parler parce que quelqu’un de la même « communauté » a déjà pris la parole. Pour les Blanc-he-s, on n’a pas compté leur temps de parole en disant « il y a des Blanc-he-s qui ont déjà parlé ».

Pour accéder à la formation de théâtre Ier Acte, la diversité sociale et la diversité raciale(1) sont mises sur le même plan. Ne passe-t-on pas à côté du problème qu’on prétend régler ?

P.D. : Pour moi, les mettre sur le même plan, c’est étouffer la question raciale de manière consciente ou non. On dira alors que la faute n’est pas au racisme mais au social sans se demander pourquoi il y a du racisme. Oui, un enfant d’ouvrier aura aussi des problèmes mais pas les mêmes qu’un enfant issu de l’immigration postcoloniale.

A.T. : C’est pour cela qu’il faut dissocier les deux. Ce sont deux questions qui avancent en parallèle.

P.D. : Et peuvent être entremêlées ou pas.

A.T. : Si on s’appuie sur la question sociale, il faut réfléchir à comment on arrive à faire comprendre à des jeunes issus de milieux défavorisés qui veulent devenir comédien-ne-s, quelque soit leur couleur de peau, qu’ils-elles peuvent eux aussi entrer dans des écoles. Il faut mettre en place des outils adaptés pour atteindre ce but. La question de la couleur de peau demande aussi d’autres moyens. Parce qu’il n’y a pas de représentativité sur les plateaux, les jeunes non-Blancs se disent que le théâtre n’est pas une chose pour eux, qu’elle est réservée principalement aux Blancs.

P.D. : Pourquoi on va retrouver les mêmes types de rôles proposés aux comédien-nes non blanc-he-s : racaille, dealer, femme de ménage, prostituée, etc. ?

(…)

crédits photographie : Anglade Amédée